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LE TOUR d'ERIKA

25 octobre 2008

3 - Un café bien serré !

Dès le lendemain, Erika s'accoude au comptoir du café de la Tour. Accessoirement pour boire un café. Olivier n’est pas là. L'établissement, désert sous la torpeur de midi semble bouger le moins possible pour éviter la chaleur. Une fois sa tasse engloutie, Erika attend la prise de service d’Olivier. Comment l’aborder alors qu'elle n'a rien à lui dire, elle qui n’a jamais eu à draguer. Toutes ces années de paresse et d’ennui l’ont rendue passive et maladroite. Pourtant elle doit tenter. Deux autres cafés et une bière plus tard, elle n’a toujours rien tenté hormis quelques mimiques compulsives et un sourire incertain. Par contre cent filles au moins dont la majorité semblaient sortir d'un défilé de mannequin sont venues toucher le biceps d’Olivier, lui claquer des bises et lui jeter des rires flamboyants à la figure.

Une main bronzée s'aplatit sur le magazine qu'elle vient de refermer; il porte le plateau et le tablier à merveille. Son sourire, une arme de destruction massive. "Un autre verre?" Erika répond une banalité qui le fait hausser un sourcil. Le contact est établit. Il faudra 24 cafés et 17 bières avant qu’ils ne se retrouvent seuls après la fermeture, dans l’arrière boutique.

Seuls dans l’ambiguïté. Le silence se fait, chacun pense à la même chose mais fait semblant de penser à autre chose. Chacun espère que l’autre lui donnera le signal de départ. Des heures peuvent s’écouler ainsi. Erika en donne un mais Olivier ne le voit pas et en propose un moins subtil. Il l’attrape par le cou et colle ses lèvres aux siennes. Ses mains s’évadent, explorent le monde sur un ton faussement timide. Sa langue un peu râpeuse donne soif à Erika qui saisit ce prétexte pour un peu de répit. Il est pressé, elle aussi, et légèrement stressée en plus. Le silence est lourd et Erika tente une amorce de discussion hors propos qu'Olivier éteint avec astuce. Comme elle boit trop lentement son coca, il l’embrasse entre deux gorgées. Enfin elle se décide à poser ses mains sur lui et s’engage progressivement dans des contrées inexplorées. Le temps s’arrête, elle se lance et oublie l'ennui. A sa grande surprise Erika se sent à l’aise et se déshabille entièrement en prenant des airs de femme accomplie. Elle semble assez détendue pour ne pas lui préciser que c’est sa première fois. Dehors le feu d'artifice s'éclate.

Le reste leur appartient, à eux, et au compartiment à glaces qui a su résister à leurs assauts désaccordés.

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8 août 2008

2- Tant qu'elle est jeune

13 juillet. L'emballage vide des dix-huit bougies roses gît éventré sur le sommet de la poubelle. Passant de caravanes en mobile-home, Daniel recherche la bougie manquante. Sur le perron des sanitaires Martine n’a visiblement pas l’intention d’y passer l’après-midi et le rappelle à l’ordre : « 18 ou 19 c’est pareil, elle a déjà de la chance d’être jeune ! ».

bougies

La dernière envie d’Erika c’est d’entendre sa famille chanter « joyeux anniversaire » autour d’une tarte à l’abricot croûteuse au milieu du camping. Et pourtant…. C’est ainsi qu’elle souffle ses 18 bougies pour ses 19 ans ; et tandis que son frère fait remarquer qu’il manque une bougie, que Daniel ressasse le match de la veille avec entrain et que sa mère essaye de protéger les bougies du vent en lui demandant de faire son vœu plus rapidement, Erika pense...

Le jour de leur arrivée au camping, elle faisait la queue à la caisse de la supérette du camping. Devant elle, une vieille dame ridée comme un dinosaure. Ses doigts crochus gigotaient dans son porte monnaie en cuir tellement usé qu'il semblait plus souple que de la soie. Comme elle ne voyait pas clair, elle auscultait chaque denier de sa bourse avant de glisser la somme inexacte sur la partie métallique devant la caissière qui recomptait à voix haute. La jupe trop large pour cette femme si menue n'était pas assez longue pour cacher l'élastique de ses mi-bas couleur chair. Elle portait des charentaises vert pâle. Des veines bleues filaient sous sa peau de crocodile. La peau distendue de son cou oscillait au rythme du mouvement incontrôlé de ses lèvres. Ses cheveux rares, bien que peignés, tentaient chacun d'indiquer une direction différente.  Et cette odeur de renfermé... "Quelle horreur", pensa Erika, "Est-ce que moi aussi je finirai comme ça?". Soudain, alors que la caissière lui tendait son reçu, la petite vieille poussa un petit cri aigü et laissa tomber son panier roulant avant de s'affaisser doucement par terre, comme une plume. Les clients et la caissière comprirent. La peur de voir mourir quelqu'un en fit déguerpir quelques uns tandis que la curiosité  en amena d'autres. Erika ne bouga pas. Tandis que le responsable du magasin tenait l'attroupement à distance, la caissière assit la vieille dame contre la caisse. Erika finit par s'approcher d'elle et lui demanda bêtement si ça allait. Pas de réponse.

     - "Gardez un oeil sur elle et parlez-lui" affirma la caissière qui se leva et tourna les talons énergiquement.

Erika posa ses provisions sur le tapis roulant, s'agenouilla et lui demanda son nom pour la faire parler.

     - "Ariette avec deux T"

     - "Les pompiers arrivent madame"

     - "ça fait mal" lui répondit la vieille, les yeux dans le vague.

Erika, désemparée, ne trouvait pas matière à poursuivre la conversation. Dans les yeux bleus de cette femme qui paraissait encore plus petite que tout à l'heure, Erika perçu de l'inquiétude. Alors que tout le reste du corps semblait fatigué, les pupilles s'agitaient dans tous les sens. Il y avait aussi de la lucidité et de la résignation dans son regard. Erika prit peur et ne détacha plus ses yeux de la mamie. La tête de celle-ci se tourna vers la jeune fille et après quelques secondes, elle dit : "Je n'ai pas toujours été comme ça". Dans ces moments là on accumule une tonne d'informations sans rapport avec le fond du sujet qu'on n'a pas le temps d'analyser. Ce ne sont pas des veines sous ses mi-bas, mais un tatouage aux contours délavés. Un genre de fleur grimpante... La sirène des pompiers retentit et tout s'enchaîna très vite. A travers la vitre du magasin, Erika regarda la civière qu'ils glissaient à l'intérieur du camion. Sous oxygène, le teint plus blanc que le drap qui la recouvrait,  Ariette.  Ses mains se faufilèrent hors du drap, des mains encore volontaires qui s'aggrippèrent aux tubes de chaque coté de la civière.

     - "C'est à qui?" lanca la caissière depuis sa caisse dans le dos d'Erika.

A l'heure de souffler ses bougies au milieu du camping, Erika se demande si cette vieille femme est encore en vie. Sans trop comprendre comment cette idée a amené la suivante, elle réalise qu'il est temps pour elle de se consacrer à l’hémisphère sud de son corps. La paresse l’avait écartée des occasions à saisir jusqu’à maintenant. Elle décrète soudainement qu'à 19 ans elle ne voit aucune raison valable de rester  hors de l'affaire plus longtemps. A ce moment précis, Olivier le barman du café traverse l’allée centrale du camping. Les bougies sont soufflées.

31 juillet 2008

1- Un jour comme un autre

12 juillet 1998. Un jour comme un autre. La nuit est tombée sur la mer, le vent chaud frôle la côte rocailleuse sans pénétrer les rues du village un peu trop calme. C'est suspect. Les voitures sont couchées, les cigales aussi, seule la télé du café de la Tour s'égosille. Ce vieux poste de télé grisâtre et cubique vit son moment de gloire. Il est chargé de retransmettre à la terrasse blindée de citoyens extrêmement tendus le match du siècle, l'enjeu de la nation. Fièrement perché sur le comptoir extérieur pour l'occasion, il bombe le torse. Soudain, c'est le but. Vacanciers et locaux s'oublient, les poings levés, ils s'agitent dans leurs shorts de plage encore salés, même les femmes poussent des petits cris tandis que les bébés bavent leur glace, incognitos.

Erika n'a pas assisté au but, elle était aux toilettes, à l'intérieur. En repassant le seuil de la terrasse elle aperçoit sa mère qui tend un briquet à sa voisine dodue; à côté, son beau-père se rassoit le sourire aux lèvres et le torse aussi bombé que le téléviseur. Elle se dirigie vers sa chaise en plastique vert bouteille qui fait instantanément transpirer ses cuisses blanches. En face d'elle Thomas, 10 ans tripote de ses petits doigts sales les sous-verres en carton posés sur la table. Ses boucles brunes et humides collent à son front criblé de tâches de rousseur tandis que sous la table ses orteils s'accrochent à l'avant de ses claquettes en caoutchouc bleu marine trop grandes pour lui. Depuis onze ans, ils viennent tous les quatre passer six semaines au camping de la Tour. Pourtant cette année Daniel et Martine ont du déployer un bataillon d'arguments pour convaincre Erika de les suivre. Elle a 19 ans demain. Cette été elle reste avec eux seulement deux semaines, ensuite elle partira à une vingtaine de kilomètres pour travailler tout le mois d'août, son beau-père l'ayant pistonnée pour un emploi de technicien(ne) de surface dans un camping 4 étoiles.

Deuxième but. Comme un seul homme, les femmes et les hommes se lèvent, renversant les chaises mais protégeant les verres pleins. Les entrailles et la fierté s'expriment. Les frissons de joie viennent toucher la peau claire d'Erika encore assise et qui jusque là ne s'intéressait que modérément au Football. Le jeune serveur saisonnier offre sa tournée. Il sourit et parle fort, sa peau déjà noircie par le soleil fait ressortir ses yeux clairs. Encerclée de son beau-père en bermuda moutarde qui porte pour l'occasion une moustache d'écume de bière, de sa mère qui n'arrête pas de piailler avec sa voisine dodue et de son morveux de frère, elle ne se sent pas à son avantage.

Ni l'ambiance festive, ni la vision du beau serveur n'empêchent Erika de s'ennuyer. Elle est puissante. Elle est capable de s'ennuyer dans n'importe quelle situation. Plus jeune, elle s'est endormie pendant son anniversaire, alors que ses amis jouaient dans la même pièce. A l'adolescence on préfère généralement mettre un peu de distance avec sa famille. Sauf que jusqu'à maintenant Erika n'a pas explosé : pas de cris, de rebellion, de fugue, de drogue, pas de mauvais résultats scolaires, pas d'habits gothiques, pas  de petit copain, rien. On attend toujours sa crise d'adolescence mais tout ce qu'elle donne c'est du flegmme, de l'indifférence ou dans les cas extrême, du silence. Erika n'est pas quelqu'un de remarquable, elle ne fait preuve d'aucun talent particulier, elle râle de temps en temps mais n'est pas triste pour autant.

Soudain son tibia gauche a froid, ses orteils se réveillent en sursaut. A force de jouer avec les sous-verres, Thomas a renversé la Pelforth brune de son père. Immédiatemment, avant même de dire quoi que ce soit ou de se tourner vers ses parents, le garçon lève vers sa soeur un regard coupable et rempli de questionnements sur son avenir immédiat. Le troisième but permet à la bêtise de passer inaperçue. Erika se dresse sur la pointe des pieds pour tenter d'apercevoir la retransmission de l'action au ralenti; elle hallucine sur la foule en liesse et revient vers la marre de bière gouttant vers le sol. D'un geste rapide elle attrape les serviettes en papier sur la table d'à côté et efface les dégâts causés par son frère. Lorsque le verre presque vide est remis debout, Thomas ferme enfin la bouche et esquisse pour sa soeur un sourire digne de Mowgli. Il se rassoit face au téléviseur  qu'il ne peut apercevoir et pose de manière très symétrique ses doigts de bière sur ses cuisses encore imberbes. Un enfant sage vu de loin.

Et UN, et DEUX et TROIS-ZE-RO! Il faut quelques minutes pour réaliser que l'équipe de France de football est championne du monde pour la première fois. Erika n'a jamais vu son beau-père aussi ému. Enfin apaisé, il retrouve la table au milieu de la terrasse et attrape sa pinte vide d'un air épanoui. D'en bas, Thomas scrute la scène en coin. Daniel penche la tête en arrière et avale la gorgée rescapée de bière tiède sans se poser plus de questions.

coupemonde

31 juillet 2008

Avant de commencer...

C'était lors de l'un de vos derniers repas en société. Vous étiez peut-être assis à côté de quelqu'un que vous ne connaissiez pas et avec qui vous avez peu parlé. Quelqu'un à l'air discret, timide ou fatigué que vous avez oublié aussitôt après le dessert. Ses oreilles remplies de vos anecdotes distillées à grande voix entre l'apéritif et le café, il ou elle vous a laissé quitter la table sans que vous sachiez son nom. Naïf, vous avez digéré le tout et êtes retourné à la vie normale. Tandis que lui, assis devant l'assiette la plus vide et brillante de la table n'a pas perdu une miette de ce que chaque convive a voulu dire ou voulu cacher.

   Vous avez sans doute déjà jeté un coup d'oeil dans une cour d'école. De derrière la grille d'une école maternelle, il ne faut que l'espace d'une récréation pour que les différentes personnalités de cette marmaille grouillante se dessinent. Il y a ceux plein de nouvelles idées (qui stressent les parents), ceux qui entrainent les troupes (dans une agitation et un bruit auxquels les parents ne s'habituent jamais), ceux qui expérimentent (dans le dos des parents), ceux qui commentent et parlementent (les parents sont fatigués) et ceux qui regardent tout ça de loin (mais où sont les parents?). Dans cette jungle miniature, on repère quelques numéros spéciaux : celui qui joue seul, celui qui cherche trop souvent la bagarre ou celui qui s'attelle trop sérieusement à un détail que les autres ne voient pas. En quelques minutes, vous apercevez un condensé de l'humanité relationnelle. Pourtant vous n'avez pas tout vu. Méfiez-vous de celui que vous n'avez pas remarqué. Il est là quelque part, sans bruit, sans problème... Ce petit caméléon pas mauvais en maths ni en sport mais excellent nulle part, pas spécialement populaire mais détesté de personne passe le temps sans révolution. Personne ne se demande ce qu'il adore ou ce qu'il abhorre jusqu'à ce qu' on le perde de vue au détour d'un virage de la vie.

    Si vous ne voyez pas de qui il s'agit, inutile de s'attarder trop longtemps derrière le grillage de l'école; à moins que votre enfant ne la fréquente vous risqueriez d'être inquiété sur un quiproquo douteux.

    Ces petits caméléons des cours d'école ont grandi. Certains sont de nouveau assis calmement juste à côté de nous. Faites-les parler, ils pourraient vous surprendre...

cameleon

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